Vous avez commencé à travailler en tant que scénariste il y a une petite dizaine d’année, après avoir été lectrice notamment pour France 2 mais aussi responsable d’un service juridique, deux mondes que tout semble séparer, comment cela est-il arrivé ? Qu’est-ce qui vous a emmené dans ce domaine ?

J’ai fait des études de Droit privé mais en me spécialisant en Droits d’auteur. Clairement, je tournais autour du pot … ensuite j’ai été responsable juridique dans le secteur de l’animation pendant sept ans avant de franchir le pas et de me lancer dans l’écriture. Au début j’ai eu le sentiment d’avoir perdu un temps précieux et d’être une vieille débutante … mais je me suis vite rendue compte que mon expérience professionnelle serait toujours un atout. Outre la rigueur acquise, elle imprègne toujours mon traitement des sujets de société et mon obsession à parler de la brutalité dont les femmes font toujours l’objet dans le monde du travail.

Après avoir écrit plusieurs épisodes pour des séries comme « Section de Recherches », « Julie Lescaut » ou encore « Femmes de Loi » vous vous retrouvez rapidement à l’origine de la création de la série « Candice Renoir » qui connait un succès formidable et dont la quatrième saison est actuellement diffusée sur France 2. Quelles ont été les rencontres décisives dans ce projet ?

J’ai « fait mes classes » en écrivant des épisodes de polars sur les séries des autres, en prenant soin à chaque fois de choisir des écritures très différentes. J’étais toujours très respectueuse des codes établis pour chacune mais je bouillais d’impatience d’écrire un polar à mon goût. Par exemple, je n’en pouvais plus d’écrire des teasers de découverte de corps ou de mise en danger de la victime … je rêvais de casser ce code et de faire des teasers surprenants dans des genres différents. J’en parlais régulièrement avec Caroline Lassa, productrice entre autre, de la collection des « Maigret » et fine spécialiste du polar. En 2011 quand elle m’a proposé de reprendre le projet qui s’appelait alors « Marianne Renoir », je crois qu’elle savait déjà exactement ce que je voulais faire. Nous avions envie de faire la même série et elle m’a fait confiance tout au long de l’aventure.

Comment gère-t-on la direction de collection d’une telle série ?

Avec passion ! Je considère chaque épisode comme un film en soi qui doit avoir un sujet fort, une narration particulière, une vraie couleur. Il y a tellement de séries polar sur nos chaines que c’est très difficile de trouver de nouveaux sujets qui n’aient pas déjà été traités par d’autres et qui témoignent des dernières évolutions sociétales. Mais sur Candice j’ai réussi à fédérer une petite équipe d’auteurs talentueux qui ont adhéré à mon projet et à cette ambition. Dès la saison 2, Ivan Piettre que j’avais connu et apprécié sur « Cellule Identité » est venu écrire et partager la Direction de collection avec moi. Mais on a fait très attention à toujours parler d’une seule voix. Sur une série, les auteurs ont souvent trop d’interlocuteurs et d’avis divergents … De saison en saison, nous avons fait évoluer l’organisation de l’écriture. Pas d’atelier avec tous les scénaristes mais des mini-ateliers avec chaque équipe (en général les auteurs fonctionnent en duo) pour construire le polar et le faire entrer en résonance avec les arches vie privée (et vice versa). Sur les étapes suivantes, les auteurs sont devenus de plus en plus autonomes parce que maîtrisant parfaitement le ton de la série. Une des particularités de l’expérience Candice, c’est aussi que chaque scénariste a été invité à Sète à venir sur le plateau pendant le tournage de ses épisodes. Nous avons vraiment réussi à décloisonner l’écriture et le tournage.

Justement, vous avez également assumé depuis la saison 2 le rôle de Productrice artistique ou « showrunner » ce qui est encore très rare. Comme cela s’est-il passé ?

Dès la saison 1, Caroline Lassa m’a naturellement associée à des décisions majeures qui dépassaient le simple cadre de l’écriture, comme le choix, ô combien crucial de l’actrice principale. Le premier réalisateur en a pris ombrage et nos relations ont été épouvantables. Et le résultat totalement contre-productif. Au delà des questions de personnes, il était évident que seul le statut me confèrerait une vraie légitimité et j’ai donc demandé à assumer officiellement la fonction de Productrice Artistique. J’ai passé trois années à œuvrer de A à Z pour que la série ait une vraie cohérence artistique malgré la succession des réalisateurs et un point de vue fort et unique, le mien. Beaucoup y voient un désir de pouvoir, là où il ne s’agit que de prendre ses responsabilités jusqu’au bout. Plus question de se défausser sur les autres, si c’est raté, c’est de ma faute ! C’est une expérience formidable et sur le long terme épuisante, particulièrement quand le tournage est à 3h50 de Paris … mais ça donne une dynamique extraordinaire. Être sur le plateau, travailler avec les différents réalisateurs, discuter avec les comédiens m’a permis d’améliorer ma propre écriture et c’est là que j’ai eu mes meilleures idées.

Aujourd’hui vous avez décidé de passer le relais à Marc Kressmann et Agathe Robilliard qui assureront la direction de la cinquième saison. Sur quel projet allez-vous travailler ? Avez-vous des envies particulières ?

J’ai évidemment besoin de faire une pause dans le polar et de m’exprimer dans des genres différents. Mon premier projet est une comédie musicale à partir des chansons de Jo Dassin c’est dire si j’ai envie de prendre des risques !

Pour finir, avez-vous une anecdote à nous raconter sur l’aventure « Candice Renoir » ?

Quand Cécile Bois alias Candice Renoir a terminé de jouer une séquence, elle déchire les pages correspondantes dans son jour à jour et en fait une grosse boulette de papier qu’elle jette joyeusement à la poubelle avec la satisfaction du devoir accompli. Mais la première fois que je l’ai vue faire, j’ai hurlé devant son manque de respect pour notre dur labeur d’auteur. Ça l’a beaucoup fait rire et c’est devenu un jeu entre nous. Un jour, Fabien Malot, notre photographe de plateau a immortalisé ce moment : Cécile pose avec deux boules de papier en guise de boucles d’oreilles. ça restera un souvenir précieux du temps passé sur le plateau à ses côtés.

© Fabien Malot

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