Vous êtes l’auteur d’une soixantaine de livres, en nom propre ou co-signés, également scénariste pour la télévision depuis 2016. Quel a été votre parcours ?
J’ai eu un parcours littéraire d’ultra-classique, hypokhâgne puis deux khâgnes au Lycée Louis le Grand, philo-latin-grec, avant un DEA de philosophie, ce qui prouve que ça mène à tout ! Je ne plaisante pas, dans la mesure où l’on apprend à travailler énormément, résoudre les problèmes et non en soulever, ne pas se laisser déconcentrer dans un contexte où l’on vous fait plus volontiers des critiques négatives que des compliments, côtoyer des gens brillants et en faire des modèles et non des rivaux, etc. Ça aide à l’avenir dans les relations au producteur (comme à l’éditeur). Quand je rencontre un problème dans mon scénario, j’estime que c’est le mien, et pas le sien, j’écoute avec une attention infinie son attente, en estimant qu’il sait de quoi il parle et que « le client est roi », et je tente d’y coller en sachant que rien ne résiste au travail, j’ai appris à être concrète, efficace… et silencieuse, en dehors du dialogue nécessaire pour bien se comprendre. Peut-être que cette habitude vient aussi de l’empathie qui a guidé toute ma vie professionnelle : j’ai commencé en cherchant les témoins de plateau pour Bas les masques, Sans aucun doute où j’ai fait des années d’antenne et de reportages, Zone interdite, puis Ciel mon mardi ou Y a pas photo dont je suis devenue rédactrice en chef, mais toujours dévolue aux témoignages. J’ai recueilli la parole de plusieurs milliers d’humains (et je continue à le faire), et c’est pour ne pas qu’elles s’envolent qu’en parallèle, je n’ai pas cessé d’écrire les biographies des autres, encore aujourd’hui, quand je rencontre. Et comme je cherche, je rencontre. Ça aide pour la psychologie des personnages, d’autant plus que j’ai fait pas mal de livres de psys, les connaissances sur des milieux opaques (judiciaires, médicaux, etc.) comme pour la vraisemblance des dialogues. J’écoute, j’écris, peu importe mon support, finalement, ce qui m’importe, c’est regarder ou inventer la vie des autres comme elle va.

Comment avez-vous été emmenée à travailler pour la télévision ? Quelles ont été les rencontres décisives dans le développement de votre carrière ?
J’ai travaillé à 23 ans pour la télévision en non fiction, jusqu’à 30 ans, avec des mini rechutes. Mais en fiction, on me conseillait d’en écrire depuis des années sans se rendre compte qu’il faut un début, des connaissances techniques, un savoir que je n’avais pas le temps d’acquérir vu mon rythme de travail. Un scénario est très très différent d’un livre, pas aux antipodes mais presque. Je dois tout (le pied à l’étrier) à la rencontre de Stéphane Kaminka, scénariste devenu également producteur, de cette série. Quelques années avant le démarrage du travail, il avait voulu adapter Enfin nue, un livre où je racontais mon amour du métier de nègre (je maintiens ce terme qui n’a jamais autant plu qu’à l’un de mes protégés noirs qui m’appelait dans la foulée « ma cousine », aucun racisme là-dedans, je travaille dans l’ombre, dans le noir, comme les photographes). Il m’avait demandé pourquoi je n’étais pas scénariste… Bref, les mois ou années ont passé, avec un lien maintenu via les réseaux sociaux, et il a eu un jour besoin de faire le dossier de présentation à la chaîne dans des délais… on va dire très très courts ! J’adore les défis sportifs. Donc j’ai dit oui. Et un jour, un ou deux ans plus tard, il m’appelle, j’étais ravie d’un coup de fil amical… mais m’annonce que la série étant achetée, il trouvait naturel que je travaille dessus, avec d’autres bien sûr. A vrai dire, ce « naturel » ressemble tout de même à la classe, il n’en avait jamais évoqué la possibilité. J’ai même mis deux secondes à réaliser de quoi il me parlait, je croyais l’affaire enterrée depuis longtemps ! Juste derrière, j’ai acheté des guides de scénaristes par dizaines, lu des scénarios, parlé à des scénaristes, en formation accélérée. La série a été écrite en équipe, sous sa direction surtout, ce qui m’a permis d’apprendre sur le tas, de commencer d’apprendre puisqu’on apprend tous les jours.
La suite, je la dois à mon agent, Lise Arif, sur qui m’a orientée Stéphane Kaminka puisque je n’avais pas d’agent. Immédiatement, le contact a été fluide, rapide, efficace, et au-delà des synopsis que j’initiais, qu’elle orientait vers différents producteurs (en détectant les bonnes personnes pour chaque univers), elle a su aussi parler de moi à des producteurs avec qui elle estimait que j’avais quelque chose à faire parce que nous avions des centres d’intérêt sociétaux communs, des méthodes et une sensibilité communes. Elle m’apprend à creuser ou renoncer, chercher, inventer, et elle me donne « la foi » ! Je n’ai pas besoin de beaucoup de dialogues et je me manifeste peu, mais j’ai besoin de savoir que « quelqu’un m’attend quelque part » pour créer des synopsis ex nihilo, ce qui est en soi une folie. Les talents pullulent, les bonnes idées aussi.
Je dois aussi beaucoup à Frédérique Gore qui m’a présentée à Aline Besson (Authentic prod), productrice avec qui travailler est un bonheur, au point que nous avons deux projets en cours de lecture dans les chaînes.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la série « Au-delà des apparences » que vous avez co-écrite ?
J’ai aimé le réalisme de la série, qui montre une héroïne flamboyante très « show off », mais au cœur et à la vie au fond assez pauvres, et sa jumelle qui mène une vie en apparence sans relief mais cache une vie secrète ahurissante et un cœur de volcan ! Les six épisodes détricotent quarante ans de mensonges et dissimulations, où l’on s’aperçoit de ce qui est fréquent chez l’humain : ils s’appliquent à interpréter le rôle qu’on leur a collé, ou qu’ils se sont inventé, aux antipodes de leurs vraies aspirations ou qualités. Et le temps passant, ils s’y enferment, jusqu’au moment où un événement tragique les contraint à se regarder en face, à s’écouter. Le climat, rendu par la réalisation magistrale d’Eric Woreth, est initialement d’une terrible lourdeur, et au fur et à mesure que des pans de vérité tombent comme du papier-peint, l’histoire de cette famille aux identités bricolées devient plus lumineuse, promise à la lumière en tout cas.

Y a-t-il des projets sur lesquels vous travaillez actuellement dont vous souhaiteriez nous parler ? Quels sont vos désirs pour l’avenir ?
J’ai trois projets auxquels je tiens, une série pas inspirée d’une histoire vraie (pour une fois), touchant à l’agriculture, parce que je suis née dans les champs et archi solidaire des agriculteurs, grands oubliés du système social français alors qu’ils triment comme personne, sans droits ou presque (Authentic prod), et deux racontant l’histoire vraie de personnes formidables. Un unitaire avec pour héroïne la fille du premier mort reconnu lié aux algues vertes bretonnes, neuf ans de combat judiciaire ! Carolanne Morfoisse (Authentic prod), un autre unitaire avec pour héros la fratrie le Goff, qui s’est vu réclamer de payer pour l’EHPAD de leur père trente ans après qu’il a tué leur mère de deux coups de carabine (Kam & Ka productions). Telle est la loi actuellement, qu’elles cherchent à faire changer… moi aussi ! Comme pour les algues vertes, j’aime quand il y a un combat d’utilité publique, quand on peut espérer par la fiction réparer un peu le monde, même si ce n’est qu’une goutte d’eau.

Plus d’infos sur Catherine Siguret :
http://www.agencelisearif.fr/auteur-realisateur/catherine-siguret/

Plus d’infos de la série « Au-delà des apparences » :
http://www.agencelisearif.fr/au-dela-des-apparences-la-mini-serie-co-ecrite-par-catherine-siguret-rediffusee-sur-france-3/